En ce matin d'hiver, le soleil brillait. La neige recouvrait déjà les vastes étendues désertes. Des quelques insignifiantes bourgades qui se trouvaient là autrefois, il ne restait plus que des vestiges. Ainsi, on pouvait encore trouver çà et là les restes d'une colonnade branlante, émergeant timidement de l'épais manteau blanc. Ou encore, au milieu des débris de ce qui, quelques lunes auparavent, devait être une riche villa romaine, une statue sans tête, s'obstinait dans un équilibre précaire à pointer du doigt vers une direction aléatoire.
Cela faisait déjà quelques heures que Chapak patrouillait. Et plus il s'enfonçait dans ces territoires froids et silencieux, plus Enklume semblait être à son aise. Chapak l'avait choisi car c'était le plus massif des poney des steppes ; de son propre point de vue, le seul animal capable d'endurer à la fois les rigueurs de l'hiver et le transport prolongé d'un guerrier corpulent et bien équipé. D'autres montures auraient peut-être fait l'affaire, si ce n'était leur taille trop haute, nécessitant l'emploi d'un écuyer ou l'usage d'un escabeau. Chapak était large, volumineux, mais guère haut. Il essayait autant que possible d'éviter les situations ridicules et avait donc opté pour le poney.
Le cavalier et sa monture s'arrêtèrent près du vieil aqueduc. L'ouvrage s'était éfondré sur presque toute sa longueur et ressemblait davantage à un grotesque ver de terre géant qu'à une construction romaine, mais l'eau parvenait malgré tout à ruisseler par endroit. D'un coup sec du manche de sa hâche, Chapak brisa la croute de glace pour permettre à Enklume de se désaltérer. D'un autre coup sec, il fit sauter le bouchon d'une bouteille de vin blanc nouveau, qu'il accompagna d'un morceau de fromage et d'une tranche de lard fumé.
Chapak dégustait sa modeste collation en contemplant le site avec un sourire satisfait. Les imbéciles qui s'étaient installés là avaient d'abord dû subir le harcèlement de ses fidèles barbares pendant plusieurs semaines, avant de devoir afronter un hiver auquel ils n'étaient visiblement pas préparés. La plupart de ceux qui n'étaient pas mort de froids ici avaient certainement fui vers le sud, vers un climat plus approprié à leur architecture décadente et leurs stupides coutûmes vestimentaires. Quant aux autres, qu'ils se réjouissent ! Ils étaient aujourd'hui installés bien au chaud, au fond d'une mine, et produisaient le métal qui bientôt ferait couler le sang de leurs semblables.
Chapak fut tiré de ses douces rêveries par le cri strident d'un épervier messager. Après avoir lu rapidement la missive, il rangea méticuleusement la bouteille vide dans sa besace et repris la route vers ses terres. Une attaque se préparait.